Je vais vous raconter ce qui m'a occupé et bien occupé, l'espace de 24 heures entre les 26 et 27 décembre dernier.
Comme un certain nombre de personnes sont impliquées, je n'emploierai que la lettre
S pour le chien et ne communiquerai aucun patronyme humain.
Je ne fais que rapporter des faits, le plus objectivement possible et proposer mon analyse.
Le 26, en début d'après-midi,
je reçois un appel d'un maître me déclarant que son chien devait être euthanasié le lendemain et que je représentais son dernier espoir de ne pas être contraint de le faire.
Comment répondre par la négative à un tel appel au secours ?
"Entendu, donnons-nous rendez-vous en terrain neutre pour le chien et je vous donnerai mes premières impressions."
La rencontre se fit en pleine campagne, dans la nuit presque noire.
Un magnifique malinois de 40 kilos sort du coffre de la voiture, portant un collier à crans, deux muselières, enfilées l'une sur l'autre et un collier électrique.
Questionnant sur la raison de ces "accessoires", il me fut répondu que c'était nécessaire pour pouvoir lui mettre la laisse au moment du départ.
Par contre, rien ne s'opposait à lui retirer les muselières pour qu'il puisse respirer et se dépenser normalement en promenade. Heureusement!
Son maître retira donc les muselières à S, qui se mit à courir au hasard de sa découverte de ces lieux encore inconnus de lui.
Je fis également l'objet de sa curiosité avec une prise de contact que je qualifierai de "normale" (si tant est que cela signifie quelque chose).
Après quelques minutes dans l'obscurité totale, il fut décidé que je garderai S
en observation avec moi.Une fois la routine de la pose des muselières réalisée et apparemment acceptée avec résignation par S, je pris sa laisse et le conduisis jusqu'à mon véhicule où je parvins à le faire monter sans grande difficulté. Quel meilleur appât que l'odeur laissée par les congénères ?
Arrivé chez moi, S me suivit sans rechigner, obéissant même immédiatement à mes "S, assis!" avant le passage des différentes portes.
Je lui avais réservé une grande cage d'exposition, placée dans ma pièce de vie, mais recouverte d'une couverture pour lui donner à la fois un sentiment de refuge et lui rendre impossible le contrôle visuel direct de ce qui pouvait se dérouler à proximité.
Une fois devant la porte de la cage, je lui retirai et les muselières et le collier électrique, puis le poussai au niveau de l'arrière-train en direction du coussin placé dans la cage.
Docilement, S pénétra dans la cage dont je fermai la porte derrière lui.
Mis à part, de légers pleurs bien compréhensibles pendant une heure, la soirée se passa sans encombre et S s'endormit, ayant à peine touché à sa gamelle, jusqu'au lendemain 5 heures 30 où il se rappela à mon attention.
Comme je suis un lève-tôt, je m'habillai et pris le parti d'aller faire
une promenade avec lui.
Une fois la porte de la cage ouverte, S me fit bon accueil.
La laisse enrouleur en main, je lui demandai de s'asseoir. Ce qu'il fit volontiers, acceptant avec enthousiasme que j'accroche le mousqueton au collier.
S'ensuivit une heure de promenade en tête-à-tête, paisible, comme si j'étais le maître de S.
Mes exercices de rappel étaient exécutés parfaitement. Quelle que soit la distance qui nous séparait (la laisse mesurant 10 mètres), S rebroussait chemin et revenait en trottinant joyeusement vers moi pour être récompensé d'une de mes caresses.
Devant un tel comportement, une euthanasie m'apparaissait hors de propos. Ne connaissant pas les tenants et aboutissants de son dossier, je ne pouvais que penser que ce toutou était victime d'un jugement hâtif.
De retour à la maison, S repris, malgré une légère opposition sa place dans la cage. Je ne voulais pas le laisser libre dans la pièce, sans surveillance, pendant que je m'occuperai des autres chiens.
Une fois terminé mes taches de début de journée avec la meute, je revins à ses cotés et entrepris de prendre connaissance des
documents confiés par son maître. La lecture fut plus qu'instructive et me conduisit à passer de nombreux coups de téléphone pour reconstituer le puzzle.
Je découvris un premier élément qui, à lui seul, pouvait expliquer déjà un certain nombre de comportements "inappropriés".
Le chiot avait été vendu par l'éleveur à l'âge de ...
6 semaines, avec la mention particulière "chien de compagnie, ni repris, ni échangé".
Qu'une telle transaction soit illégale ne peut être bien sûr ignoré d'un éleveur chevronné, qui plus est spécialisé dans le chien de travail, tout autant que dangereuse puisque le chiot n'a pu apprendre l'inhibition de la morsure, l'extinction du comportement et la gestion de la frustration.
On peut raisonnablement soupçonner qu'une anomalie comportementale a poussé cet éleveur à se débarrasser sans perte financière (700 €) d'un chiot qui ne répondait pas à ses critères.
Comment expliquer que le couple qui a acheté S à cet éleveur l'ait revendu 500 €, quinze jours plus tard?
Le second couple qui devint détenteur de S jusqu'à aujourd'hui ne travailla hélas pas sur sa
sociabilisation.
Le chiot grandit à la maison, pendant la journée au contact de sa seule maîtresse et du chat, le soir avec son maître qui le promenait dans la campagne voisine.
L'entrée dans l'adolescence marqua le début des premiers dérapages agressifs contre ses maîtres. La situation ne fit qu'empirer de mois en mois et c'est ainsi que se mit en place un mode de fonctionnement de la cellule familiale pour gérer avec le moins de désagréments possible les comportements violemment dominants de S.
Des éducateurs ont bien été consultés, mais par incompétence ou lâcheté irresponsable, ils ont trouvé une excuse pour espacer les séances jusqu'au moment où les maîtres abandonnaient de guère lasse.
Jusqu'au jour où, le mois dernier, le couple confia S à un éleveur local, réputé pour ses malinois de travail "très pointus". Il travailla pendant 3 semaines avec S et c'est lui qui préconisa l'
euthanasie immédiate.
Les maîtres ne m'en avaient pas avisé. Ce qui fit que mon futur jugement ne fut pas influencé.
Revenons donc au déroulement de ma journée.
Après la lecture des documents de son dossier et deux ou trois coups de fil, je pris le parti de faire une
nouvelle promenade avec S.
A l'ouverture de la porte de la cage, je réalisai tout de suite que je n'avais plus affaire au même chien. L'expression du regard avait changé spectaculairement et basculé dans une sorte de brouillard agressif, façon prédateur.
Je tentais de faire diversion pour reprendre la main en invitant sur un ton joyeux S à s'asseoir afin que je puisse attacher le mousqueton de la laisse.
Une fois, deux fois ... sans succès!
Ma troisième tentative déclencha instantanément un assaut de S, debout sur les pattes arrière et donc plus grand que moi.
Il saisit à pleins crocs mon avant-bras gauche, tint la prise en secouant la tête de toutes ses forces. Au bout de cinq à six longues secondes, S lâcha sa prise pour ... saisir mon autre avant-bras qui eu droit au même traitement. Quand S, toujours après de longues secondes de lutte, délaissa mon avant-bras droit, ce fut pour se précipiter à nouveau sur le gauche...
Gardant malgré tout mon calme, ne serait-ce pour ne pas remettre une pièce dans la machine, je demeurais impassible.
S se calma quasi instantanément et s'approcha de moi comme pour chercher une caresse.
Conscient du sens canin de la situation, je me détournais et l'ignorais malgré son insistance.
En effet, un chien qui agit ainsi après une agression sur son maître ne vient pas se faire pardonner, comme le pensent beaucoup. C'est tout le contraire car le chien signifie "Je t'ai puni, mais je te pardonne pour cette fois!".
Le diagnostic d'
instrumentalisation de la morsure s'imposait. Pas de séquence de menace préalable à la consommation de l'acte d'agression. Le recours d'emblée à l'agression de forte intensité alors qu'un simple pincement aurait suffi à avertir qu'il ne souhaitait pas que je poursuive, la tenue de la morsure pendant plusieurs secondes et la répétition par trois fois de la séquence agressive alors que je ne contre-attaquais pas. Le calme rapidement retrouvé, laissant apparaître qu'à ses yeux l'incident était bénin et relevait en quelque sorte de la routine acceptée par ses maîtres depuis un an.
C'est ensuite que je contactai, fort de cette première expérience, diverses personnes avec la ferme intention de travailler pour à terme gagner son allégeance au genre humain et désamorcer cette instrumentalisation de la morsure, outil de communication de base pour lui et seule réponse dont il était capable devant une source de frustration.
Grâce à un de mes interlocuteurs, je pus vérifier que son taux de consanguinité n'était certes pas en cause, mais je découvris que dans ses
ascendants deux ou trois générations au-dessus figuraient des chiens qui avaient marqué le milieu du ring en leur temps avec leur réputation de "méchant", gérable par son seul maître.
Les heures ayant passé vite avec mes différents coups de fil, l'heure du déjeuner bien dépassée, j'entrepris de
manger un morceau.
S était couché à mes cotés, en apparence calme.
A la seconde où j'ouvris la porte du réfrigérateur, je perçus dans mon dos la menace. S me fixait, prêt à bondir pour me voler la nourriture.
Jugeant que la situation était beaucoup trop tendue pour lui tenir tête, je reposais ce que j'avais en main à l'intérieur du frigo.
Et c'est alors que le scénario du matin s'est réenclenché.
La frustration engendrée par la disparition de ma nourriture le précipita sur moi.
Heureusement que j'avais pris la précaution suite à la première agression d'enfiler des manchettes de protection utilisées par les bûcherons car la cible des attaques de S fut de nouveau mes avant-bras.
Le coté pervers de cette protection est qu'elle est beaucoup plus difficile à attraper pour le chien qu'une manche de costume d'attaque car avec une surface glissante.
La rage de ne pouvoir facilement tenir dans sa gueule mes avant-bras décupla son agressivité et il finit par ... s'en prendre à un bras, non protégé par la manchette.
Plaqué contre la porte qui s'ouvrait vers la pièce, il me fut difficile de l'ouvrir pour enfin réussir à rejoindre l'extérieur, en trainant S accroché à mon bras.
Heureusement que je chauffe peu et porte des pulls épais, même à l'intérieur!
Ayant réussi à isoler S derrière une porte du sous-sol, je pus constater que de nouveau le retour au calme se fit très rapidement.