Après deux jours et demi au contact de Lucky, j'ai une idée un peu plus précise du travail que je me dois de faire sur lui avant d'envisager de le proposer, en toute responsabilité, à un potentiel nouveau maître.
Lucky est, sans aucun doute, un brave chien comme tous les autres, mais son gabarit et le potentiel d'éventuelle dangerosité qui en découle imposent la plus grande circonspection avant de passer le relais à quiconque.
A son arrivée au refuge, dans un environnement inconnu, l'attrait de la nouveauté, de la distraction qui en découlait pour lui et de l'intérêt qu'on lui portait ne pouvaient que concourir à ce que tout se passe bien.
Ce qui fut le cas, que ce soit avec ses congénères ou avec les humains, adultes ou enfants, qu'il a pu rencontrer après le départ de ses maîtres. Sociable, joyeux, obéissant.
Comme à chaque fois en pareille circonstance, il faut bien avoir à l'esprit que le nouvel arrivant, ayant perdu ses repères, a toutes chances de ne pas montrer immédiatement sa véritable personnalité et de s'effacer provisoirement, le temps d'observer, d'analyser les relations de pouvoir existantes dans cette nouvelle meute.
Et ce n'est que par la suite qu'il saisira toute opportunité de s'insérer dans l'échelle hiérarchique et bien évidemment le plus haut possible.
Dès le retour chez moi, alors que le trajet n'avait pas vu le moindre accrochage entre les passagers, collés/serrés dans l'arrière du fourgon, j'ai aussitôt senti qu'une nouvelle facette de Lucky se dévoilait.
A peine descendu du véhicule et conduit avec les autres vers le parc, première séquence agressive dans le pur style "gamins descendant du car scolaire/Ouais! Tu m'as touché!".
Par la suite, les réponses aux appels au jeu de Maya qui avaient été très positives pendant les heures qui avaient précédé se sont transformées en un éclair en séquences agressives et rejets brutaux.
Mon approche qui, comme à l'accoutumée, provoqua un attroupement de tous à la porte du parc, déclencha une violente séquence agressive de sa part car manifestement Lucky ne pouvait pas concevoir un seul instant que je ne sois pas là pour lui et que pour lui! L'enfant despote qui refuse de partager quoi que ce soit avec les copains! Je dois être le premier à sortir! Cela est dû à quelqu'un de mon rang!
Isolé des autres pour la nuit, les retrouvailles du lendemain matin virent une attaque immédiate de Lucky sur tout ce qui passait à sa portée.
Maya, grande pacifiste, déploya en vain toute la batterie des signaux d'apaisement et finit recroquevillée à mes pieds et terrorisée, implorant ma protection.
Lary, par contre, bien qu'ayant tenté de calmer le jeu dans un premier temps, finit par contre-attaquer et je dus aller interrompre en urgence le combat.
Comme le pugilat se déroulait dans un buisson, il était difficile pour moi d'attraper quoi ce soit et finalement, faute de mieux, je saisis la queue de Lucky pour le tirer en arrière et l'envoyer faire un vol plané dans mon dos. Me retournant face à lui pour bloquer un éventuel retour à la charge, il se soumit à moi sans problème et accepta sans rechigner d'être emmené "au coin" par la peau du cou.
Heureusement, il n'y eut aucune blessure à déplorer.
Avec moi, quand nous sommes en tête-à-tête, j'ai (et c'est logique) droit au meilleur comme au pire.
Comme je m'intéresse à lui, Lucky se montre capable d'une obéissance exemplaire et de marcher en laisse sans tirer. La volonté d'entrer en grâce est manifeste...
Mais, à d'autres moments, notamment quand je travaille l'extinction du comportement avec l'ordre "Lucky! Assis!", je peux avoir aussi bien droit à une exécution immédiate de l'ordre chuchoté qu'à une rébellion caractérisée allant jusqu'à la tentative de morsure de mon avant-bras quand je pose ma main sur la zone de dominance de la nuque.
Vous savez à quel point j'adore qu'un chien tente de me mordre...
Lucky a eu droit à un soulevé de terre par la peau de cou et des reins et est resté tétanisé et penaud, pendant au bout de mes bras comme un chiot pendant cinq secondes. Une fois reposé au sol, le message bien clair ayant été parfaitement intégré, ce fut un coucou suisse qui marchait à mes cotés. Non mais! Qui c'est le chef ici ?
En ce qui concerne les câlins, je m'attache à bien lui faire comprendre que c'est une récompense et surtout pas un dû à Sa Majesté plénipotentiaire. Je l'ai d'ailleurs intégralement brossé, ce qu'il avait toujours refusé à ses maîtres.
Reste le bain car, comme il adore les flaques, ruisseaux et autres bains de boue, ses poils longs ont un fumet ... remarquable.
J'alterne à dessein les moments où il est seul à mes cotés, m'accompagnant dans des occupations dont il n'est pas le centre et d'autres où il cohabite avec ses congénères et où là par contre, je m'intéresserai à un ou plusieurs d'entre eux et surtout pas à lui.
Lucky a été bien éduqué dans son tout jeune âge par une maîtresse pleine d'attentions à son égard et de rêves, selon son propre aveu, dans le pur style "Petite maison dans la prairie".
Mais tout s'est effondré quand, en pleine crise d'adolescence, sa première tentative de prise de pouvoir en montrant les crocs, a été couronnée de succès... Le ver était dans le fruit...
Il y a du travail de cadrage et recadrage. Fermeté, cohérence, détermination et bienveillance: le cocktail habituel, sans oublier de bonnes nuits pour y reconstituer l'énergie nécessaire à l'entreprise. Et dire qu'il y en a qui croient que je m'amuse!